Les PP pas à pas - 1
Au départ, en PP1, c'est basal comme contact, c'est comme au bac à sable, on est ensemble, il n'y a pas de différence entre nous. Par exemple, c'est la fête et on est tous ensemble, tous considérés de la même manière et sur un même pied d'égalité : femme, homme, sujet âgé, enfant, de même nationalité ou non. C'est le même prix pour tout le monde, on est dans le même bain pour ainsi dire.
Maintenant, si je viens dire à une personne : "Et toi, tu es une femme, et moi je suis un homme, et si on se frottait tous les deux ?", là j'introduis la différence des sexes. Idem si je tiens compte de l'âge ou encore de la différence de nationalité. Ces différences ne sont pas nécessairement prises en compte, c'est justement tout le propos de chaque étape de prendre en compte une à une ces différences, alors que dans le contact, on les aperçoit sans en tenir compte.
C'est la même chose avec les objets, on les voit, mais ils ne sont pas considérés pour eux-mêmes. Dans le contact, ce qui compte c'est d'être avec les autres, qu'importe les objets. Par contre, à l'étape des PP2, il y a un objet super important, c'est soi-même, et ce qui compte dès lors dans une fête, c'est d'être vu avec ses beaux vêtements, son bronzage, etc. Et quand ce Moi va vers les gens, il choisit particulièrement vers qui il va, de préférence vers un même que soi, aussi bien que soi, une autre personne qui va mettre en évidence le "beau Moi". Donc, la question de l'objet que l'on est soi-même devient importante et passe avant toute autre chose.
Pour en revenir à cette rencontre où joue la différence des sexes, il y a deux possibilités : soit la rencontre s'inscrit dans le temps et c'est un couple, soit la rencontre ne s'inscrit pas dans le temps et c'est une passade juste pour ressentir des intensités sensuelles et sexuelles. L'aspect "intensité" prime chaque fois que l'autre est uniquement considéré comme un objet au service de soi-même, et cela peut être réciproque. Toutefois, si le temps s'inscrit dans la rencontre, alors l'aspect "intensité" passe au second plan et diminue pour laisser la place à une relation où maintenant moi-même je suis devenu l'objet de cette relation, c'est-à-dire que je ne décide plus tout seul comment ça va évoluer.
Dans le cas d'une causalité de soi "intensorielle", le sujet est guidé par une image de lui - super objet - à laquelle il soumet d'autres objets, les autres personnes sélectionnées en fonction de critères narcissiques. Par exemple, les cas de l'homosexuel (photographies des visages de type "h" choisies positivement) et du sadique (photographies des visages de type "s" choisies positivement) ont été regroupés dans le test au sein d'un même vecteur : le vecteur sexuel, comprenant les facteurs h et s. Ils ont en commun de ne pas vouloir / pouvoir s'inscrire dans la temporalité évolutive et historique afin de rester pleinement dans la causalité de soi intensorielle, c'est-à-dire en-deçà de la castration symbolique (qui nous oblige à accepter la mort, le vieillissement, le refus de la toute-puisssance personnelle de ses désirs). Dans ces conditions, les autres sont appréhendés comme des objets au service du scénario narcissique qui pose un "contrat de jouissance mutuelle" entre partenaires. Ce n'est pas une pathologie nécessairement. C'est un mode d'existence qui préfère s'en tenir à un stade du développement afin d'en faire fructifer tous les atouts, quitte à perdre des plumes du côté du rapport au temps.
En PP2, ce dont les personnes souffrent, c'est d'intensité.
Avec l'entrée dans les PP2, le rapport au Monde va passer de plus en plus par des objets, or l'objet agit comme une loupe, il renforce, concentre et augmente le flux libidinal. En PP1, l'intensité est diluée par toutes sortes de successions occasionnées par les multiples facettes de l'ambiance, ça ne se concentre pas, ça vient et ça part. Par contre, l'objet domine les PP2 et avec lui l'intensité suit un parcours d'intensification, d'organisation, de consolidation. Les PP2 génèrent le mécanisme de la rétention et cela concentre la libido fortement. Si la recherche d'intensité du vécu en PP1 reste diluée, en PP2 elle devient recherche de la puissance d'intensité, une intensité persistante qui est constamment à la portée du sujet grâce à son imaginaire, c'est la jubilation narcissique.
Par contre, en PP3, ce dont les personnes souffrent, c'est de temporalité.
Vivre dans la temporalité et dans un monde d'objet, c'est vivre une temporalité accentuée par le prisme de l'objet. L'horaire d'une usine, c'est tous les jours la même heure, à la minute près, sous peine d'angoisse si on arrive en retard. L'usine est l'objet qui renforce la temporalité bien au-delà de la nature fluide du temps. Les sujets en PP4 évitent cet effet de loupe suscité par un rapport aux objets omniprésents toute la journée, ce sont des gens plus fluides dans leur rapport au temps, le temps n'est pas aussi pressurisé par une série objets "qui attendent leur tour". L'objet temporel, c'est un enfant qui vient de naître et qui impose une temporalité exigeante ; c'est la file d'attente à la caisse du supermarché alors qu'on n'a "pas le temps", c'est-à-dire qu'un autre objet nous impose son temps comme par exemple un rendez-vous à ne pas rater.
Si l'intensité marque tout autant les PP1 et les PP2, les PP2 en subissent plus durement l'impact, car elles transitent essentiellement par l'objet.
Si la temporalité caractérise à la fois les PP3 et les PP4, le règne de l'objet en PP3 leur donne une puissance temporelle focalisée qui débouche sur une surenchère temporelle qui n'a rien à voir avec la succession homogène du temps évolutif.
En PP2, cette surenchère de la puissance d'intensité est décrite à partir du concept de la rétention libidinale. Par les objets, le sujet canalise la libido vers des ardeurs internes structurées autour d'axes rigides qui soutiennent la voûte narcissique du sujet. Dans cette bulle d'espace-temps spécifique au sujet en PP2, l'eau paisible de la continuité du temps (modération, tempérance, baisse d'intensité sur le long terme) ne peut pas s'écouler sur le feu de leur toute-puissance. Leur désir de « se vivre » finit par leur brûler l'âme, mais ils continueront à n'écouter qu'eux-mêmes et à poursuivre leur quête insatiable avec les moyens qui leur resteront.
En plus de la surchauffe constante de l'intensité de leur vécu, le rapport au temps escamoté suscite un sentiment tenace d'impermanence. Pour calmer cette sensation que leur passage ne laisse aucune trace, ils rendent un culte à des époques, à des musiques, à des lieux, à des gens,... Ces cultes leur renvoient une image de fixité et de pseudo-permanence. De même, ils désirent implicitement qu'on leur voue un culte, pour la même raison, pour témoigner d'une volonté de permanence. La « statue de soi » remplace le sujet "inné" dans la temporalité du Monde. Mais ça ne tient pas, car plus ils se sentent impermanents, plus ils augmentent l'intensité de leur vécu, plus ils rigidifient leur vie, plus ils pervertissent / détournent le rapport au temps. C'est un cercle vicieux, une boucle logique typique des PP2 stabilisées et de laquelle suinte le mal-être, comme la rançon à payer pour la dévoration du temps en orgies d'intensités insatiables et insoupçonnables.
La notion d'objet est essentielle pour comprendre les PP2 et les PP3. Si dans les PP2, l'objet privilégié, c'est soi-même ; dans les PP3, c'est l'inverse, l'autre est conçu comme une personne corporative, c'est-à-dire tout à la fois particulière et communautaire, une et multiple. Chaque autre devient représentatif d'une norme, entrer en relation avec l'autre correspond dès lors à établir une relation avec une communauté.
Par exemple, imaginons une petite scène de la vie quotidienne :
« Salut Jules ! » dis-je à quelqu'un que je croise. « Tu connais Jules ? » me lance la personne qui m'accompagne. « Oui, c'est mon voisin, il est chrétien, il chante bien, je l'ai déjà entendu dans sa chorale, il a des idées politiques de gauche, mais avant tout c'est un vrai Wallon, faut voir comme il est fier de sa culture ! Mais, entre nous, c'est surtout un petit bourgeois indécrotable. »
« Salut Jules ! » dis-je à quelqu'un que je croise. « Tu connais Jules ? » me lance la personne qui m'accompagne. « Oui, c'est mon voisin, il est chrétien, il chante bien, je l'ai déjà entendu dans sa chorale, il a des idées politiques de gauche, mais avant tout c'est un vrai Wallon, faut voir comme il est fier de sa culture ! Mais, entre nous, c'est surtout un petit bourgeois indécrotable. »
Ce qui est palpable dans cet exemple, c'est le fait que la perception particulière de Jules s'efface au profit d'une vision communautaire qui n'a de cesse de ramener le sens de la relation vers des critères normatifs. À quelle norme appartient Jules ? C'est la question permanente et implicite du sujet en PP3 quand il se regarde lui-même ou bien considère la vision des autres : il a une norme dans l'oeil. Il mesure les gens selon leur appartenance à des groupes, selon une légitimité établie par la filiation ou non avec des groupes d'individus. L'esprit aristocratique procède amplement de cette tendance. Le noble a une généalogie dans l'oeil quand il vous regarde, c'est la manière entendue par la gent aristrocratique pour mesurer "la légitimité"... mais là nous débordons déjà vers le registre des PP4.
Le sujet en PP3 envisage les autres au sens d'un groupe, d'une communauté. Les gens sont l'objet (au sens psychanalytique) qui exerce la puissance sur soi-même. Il faut se plier aux horaires, à l'éducation, aux réglements, aux bonnes moeurs, à la morale, et devenir un objet parmi d'autres au service de la règle communautaire. Les PP3 sont des positions légaliste-réaliste-adaptative.
Si nous revenons à notre histoire de couple, le monsieur est reçu chez les parents de sa compagne où il est présenté en vue des fiançailles et du mariage : l'aspect temporel prime dorénavant sur l'aspect intensoriel. La causalité des échanges entre partenaires est de type "contrat de mariage" plutôt que de type "contrat de jouissance", c'est le choix de la durée au lieu de celui de l'intensité. Si l'intensité permet au sujet de rester le maître de son vécu, la durée l'oblige à se soumette à une temporalité qui dépasse largement sa "juridiction" personnelle.
Des PP1 vers les PP2, nous observons l'inauguration de l'objet narcissique que l'on est soi-même, la belle image de soi.
Des PP2 vers les PP3 : nous constatons la primauté de l'objet communautaire que l'on n'est pas du tout et auquel on doit se soumettre.
Les PP2 et les PP3 fonctionnent largement à travers des objets qui ont la primauté sur le registre de l'être : avoir cet objet (ou se confromer à ses priorités), c'est réussir, le perdre, c'est rater son coup. Ce n'est pas le cas des PP1 et des PP4 où l'objet n'occupe pas une place centrale, mais périphérique. Si dans les PP1, c'est l'ambiance qui compte, dans les PP4, ce sont les valeurs et les principes entendus comme ce qui transcendent les lois et les réglements propre à un fonctionnement "local", un peu comme l'éthique transcende la morale, c'est-à-dire que le jugement intime à propos du bien-fondé s'exerce au-delà de la juridiction des normes en vigueur dans une communauté spécifique (dans une région et à une époque délimitées), "de tout temps" pour ainsi dire. Cette liberté des PP1 et des PP4 par rapport à l'objet les rend beaucoup plus aptes à la syntonie avec le Monde, tandis que les PP2 et les PP3 enclavent le sujet dans le discours étroit rapporté à la question permanente de l'objet.
Reprenons les quatre positions pulsionnelles
PP1 : être, pas d'objet privilégié, c'est la causalité de soi par l'intensité mais de façon indéterminée. Par exemple, c'est s'amuser sans faire de différence de lieu, d'époque, de partenaire, c'est jouir sans chercher un enjeu personnel dans cette jouissance, juste pour être dans l'ambiance, "être dedans", dans le bain. C'est l'intensité pour l'intensité, et on tient compte le moins possible des différences.
PP2 : avoir, c'est la causalité de soi déterminée par l'intensité et par l'entremise de l'objet privilégié que l'on est soi-même (les autres sont au service du sujet). Par exemple, le "contrat de jouissance" et de valorisation mutuelle, une relation qui évite toute forme de castration et qui refuse de s'inscire dans la temporalité historique et évolutive, c'est-à-dire la mort et la vieillesse à coup sûr.
Sous un autre point de vue, dans les PP2, nous rencontrons un rapport au temps escamoté, et c'est ce qu'exprime par exemple la réaction hy+ qui appartient à ce niveau (hy+ = choisir des photographies de type hy selon une proportion où les choix hy sympathiques dominent les choix hy antipathiques). Ce sont des photographies de visages de personnes présentant de façon claire et nette des troubles hystériques au long cours, du temps de Szondi bien entendu. Or, la personne atteinte d'hystérie a un problème de mémoire, elle ne veut plus trop savoir ce qui s'est passé, elle refoule comme on dit, et alors elle vit des "trucs intenses", généralement sous forme de crises. C'est comme si la libido refluait vers le critique et l'intensité à cause de son empêchement à se couler de façon homogène dans la temporalité au long cours. Par ailleurs, la réaction hy+ se retrouve aussi chez le petit enfant qui jubile devant un miroir en se regardant : il découvre sa propre image, c'est l'imago spéculaire qui va fonder le narcissisme de cet enfant, "moi je". Ce qui est intense à ce moment-là, c'est que le temps du sujet démarre tout à coup, il n'avait pas conscience d'exister et voilà maintenant qu'il existe, on retrouve donc dans ce néo-originaire un rapport au temps escamoté et une pointe d'intensité sensorielle comme causalité de soi.
Cette différence - l'avènement d'une image de soi - va tout changer dans les rapports aux autres. Avant, cela n'avait pas d'importance, maintenant, l'image de soi va devenir prépondérante dans les rapports avec autrui. C'est la domination de l'objet narcissique qui s'impose dans le rapport au Monde, à tel point que cet objet a tous les traits d'un sphinter : il ferme et ouvre la porte selon l'assentiment qui émane de lui (si on colle ou non à l'image du sujet, on passe ou on est rejeté). La réaction hy+ traduit ce besoin de visibilité de l'objet qu'on est soi-même : se montrer, faire des affects, faire son cinéma ou sa crise comme on dit. Sur un autre registre, la personne déracinée qui souffre la situation de l'exil a elle aussi un problème dans son rapport au temps, mais pour d'autres raisons. Dès lors, elle va devoir se reconstituer une visibilité pour pallier le désengagment de son identité hors du temps historique de sa lignée. Dans ces conditions, les dérapages sont possibles quand le sujet est déstabilisé : trop de visibilité de soi ou pas assez. Normalement notre propre visibilité ne doit plus être un enjeu en soi, sauf si la ligne du temps est rompue d'une manière ou d'une autre, dans ce cas, la visibilité de soi redevient un besoin impérieux à satisfaire, un peu comme l'enfant face à son miroir.
PP3: avoir, le sujet est un objet parmi d'autres au service de la communauté, c'est la causalité de soi déterminée par la temporalité historique et évolutive, mais dans le cadre de la communauté, c'est-à-dire par l'entremise de l'objet privilégié qu'est la communauté. Par exemple, le contrat de mariage, le contrat professionnel, l'horaire, les règlements, etc. Pour en revenir à la situation de fête, ce sont les groupements folkloriques, les remises de médaille d'honneur, les commémorations, le discours officiel, etc. Il s'agit donc de gens préoccupés par la dimension socio-politique de la fête, au sens où la temporalité à laquelle ils souscrivent correspond à des dates, des événements fondateurs du lien social, etc. Ce sont des objets temporels à visée communautaire, c'est-à-dire qui ont pour vertu de célébrer le temps propre de la communauté.
PP4 : être, pas d'objet privilégié, c'est la causalité de soi par la temporalité de façon déterminée justement par la prise en compte du temps, mais sans vraiment tenir compte du cadre de la communauté dans laquelle nous vivons. Cela se passe au-delà des normes, c'est vivre dans le temps pour vivre dans le temps : ce qui se passe aujourd'hui est vraisemblablement intéressant, mais sans intérêt véritable, car demain est un autre jour et il en est ainsi depuis la nuit des temps. C'est l'humain comme mémoire vivante du temps qui est passé, passe et passera. L'idée du temps comme processus domine les PP4, ainsi les sujets en PP4 vivent des événements "processuels", ils s'inscrivent dans des processus qui les prennent en charge et sur lesquels finalement ils n'ont pas de prise. Pour revenir à la fête, nous sommes ici dans le "principe festif", c'est la fête au cours de laquelle nous, en tant que mémoires vivantes, nous pressentons la destinée d'un peuple qui se rejoue à chaque fois dans cette fête, c'est l'effet d'assister à la fondation culturelle d'une identité au-delà des régimes politiques, « le peuple qui vit sur cette terre ». C'est participer à la fête comme emporté(e) par un destin aux innombrables facettes, et vivre l'intuition d'être en présence de ce destin, de le vivre en soi.
Par exemple, la communauté scientifique présente la façade d'un discours de type PP4, désintéressé et presqu'ascétique, mais en réalité la question de l'objet est prépondérante. Même si leur rapport au temps est systématisé, il vient comme en surplomb de la filiation à l'origine en dictant un logos orienté essentiellement vers le registre de l'avoir plutôt que vers celui de l'être. Un(e) scientifique appartient d'abord à sa communauté scientifique, à son langage, à ses codes, et à nulle autre communauté, il en va de sa légitimité. C'est une sorte de secte où domine un langage clé qui ne faut pas "corrompre" par un vocabulaire "inapproprié". Son aliénation à ses objet de mesure est permanente, et son discours est décapité comme sujet de l'énonciation : "ça parle" scientifiquement à partir de sa bouche, c'est "objectif". Cette décapitation du sujet se retrouve dans le rapport au Monde, notamment en décapitant tous les mythes religieux en cours dans l'humanité. Ce massacre du capital symbolique humain sous la forme d'objet d'études anthropologiques, nouvelle formule du colonialisme, est typique du règne de l'objet : boucler la continuité dans des formules, seul ce qui est formulable peut exister et le vérace est ce qui est dépeçable.
Impossible d'atteindre mentalement la conscience d'une Unité inconditionnelle en toutes choses dans ces conditions d'objectivité (un terme qui décrit bien ce dont il s'agit). Nous voilà face à un discours posé comme référent au-delà des différences locales, c'est-à-dire un discours de type PP4, mais essentiellement orienté vers une dynamique objectale. Temporalité + relation priviligiée à l'objet = PP3. Tout ce que cette science peut secréter, c'est l'emballement de la société de consommation, le dépeçage du sujet et sa formulation en termes objectifs / objectaux. La toute-puissance de la pensée obsessionnelle appliquée à l'étude scientifique n'est qu'une variante de la toute-puissance, un peu plus perverse que les autres car elle se donne comme plus légitime aux yeux de la communauté. Ainsi pour justifier la marche de la science, nous entrons dans une société qui présente le progrès finalement comme une régression. Les nazis n'ont pas fait mieux à leur époque avec des moyens très scientifiques d'ailleurs. La fameuse rationalité du scientifique, leur pondération, leur sens de la mesure, bref la modération des adeptes de la science n'agit que dans le cadre des moyens utilisés pour satisfaire le désir de la toute-puissance, pas dans le but. L'enjeu de la pensée scientifique est libre de toute castration, il n'y a pas de limite. Les scientifiques n'ont ni Dieu ni maître, ils se prostituent à tous les budgets.
Considérez l'exemple inouï de Mgr Georges Lemaître, astrophysicien et mathématicien wallon (Charleroi 1894 - Louvain 1966), auteur d'un modèle relativiste d'Univers en expansion (1927) qui formula ensuite la première théorie cosmologique selon laquelle l'Univers, primitivement très dense, serait entré en expansion à la suite d'une explosion (1931). C'est celui qui a conceptualisé l'origine de l'univers avec le Big-bang. C'était un chanoine, un chrétien au sein de l'Eglise. Il a perverti (détourner au sens d'un rapt) complètement et scientifiquement sa profession de foi en gommant l'origine divine du Monde. Là où Dieu se tenait, il a mis ses formules. Grâce à lui, nous sommes dotés d'une représentation scientifique de l'Origine, c'est-à-dire que tout ce qui est dans l'Univers est susceptible d'une explication scientifique à partir de cette représentation. Il faut bien comprendre qu'il n'y a aucune représentation de l'Origine universelle innocente. La représentation de l'Origine est ipso facto de facture totalitaire, par principe, la seule façon d'éviter cela, c'est de ne pas représenter l'Origine. Ce "chrétien" était avant tout un scientifique, il a injecté la dimension originelle de la religion au coeur de la science et la science a phagocyté d'un coup les représentations religieuses du Monde, c'est-à-dire des représentations essentiellement mystérieuses pour éviter justement d'y mettre quoique ce soit à notre portée. On ne pouvait pas faire pire ni plus traître à l'alliance envers Dieu.
La différence entre l'imaginaire et le symbolique
Le symbolique, ce sont des images mentales (celle du père, du drapeau, de l'église, etc.) qui contrôlent d'autres images mentales, c'est-à-dire celles de l'imaginaire. Ces images symboliques ont plus d'autorité sur le sujet que les autres images parce qu'elles sont « reliées ». Elles sont reliées au Tiers, c'est-à-dire ce qui représente la référence dans la communauté et qui garantit le respect des différences. C'est donc un signifiant (une forme particulière) qui tient sa force de persuasion d'un signifié important (un fond commun), procurant l'autorité et son relais par la figure du père, pas le père en lui-même, mais le père comme représentant, au sein de la famille, toutes les autres personnes qui n'appartiennent pas à la famille et dont il faut pourtant tenir compte. Cet aspect « relié » des images symboliques qui animent et régissent notre vie mentale traduit le processus de la filiation à ce qui nous dépasse. De la bonne tenue de ce processus en général dépendra la qualité et la puissance des images qui contrôlent notre esprit. C'est la temporalité qui sert de matrice pour ces étages de la psyché (PP3 et PP4), parce que le sens du temps est justement ce qui relie le tout. En tout cas, le lien temporel est un lien généralisé qui peut s'inscrire aisément dans le cadre de l'entendement humain, ce n'est pas le cas du Tao par exemple, un "concept" beaucoup plus difficile à appréhender dans le cadre de notre entendement.
Plus le sujet accède à une temporalité historique et évolutive, plus il est relié à lui-même à travers tous ses états successifs, et plus il est relié aussi à ce qui l'a précédé. Comme il prend mieux en compte la succession des différents états de conscience au fil des heures, des jours, des mois et des années, et même des générations, il est capable de rester d'une seule pièce face à ses désirs qui naturellement vont dans tous les sens.
Celui qui se débranche de l'unité systémique (pas la sienne en particulier, mais le principe de l'unité en toute chose) en perdant le fil du temps en arrive à se découper lui-même en cédant à la force de ses désirs disparates au cours du temps. Pour éviter cette dispersion ou ces clivages si c'est plus grave, le sujet se « castre » en limitant la force de ses désirs (et de ceux des autres sur lui) grâce à la bonne tenue d'un rapport au temps ferme et constant. Cela sous-entend une panoplie d'images qui contrôlent les autres images, dont notamment une image du père consistante qui soit préservée des aléas de la vie humaine. Ce sens élaboré du temps au long cours est "destinal" et a un prix : il faut mourir un jour et ne pas l'oublier. Nombreux sont ceux qui préfèrent ne pas le savoir, quitte à escamoter un peu beaucoup le rapport au temps. Cette conscience permanente de notre propre finitude, c'est justement ce qu'essaye d'oublier celui qui se sent "mal né", il tente alors une sortie vers le néo-originaire et alors c'est « marche ou crève », il ne se donne plus le choix, c'est le format de la toute-puissance du moi, l'absolu au quotidien.
Au-delà de toute cette architecture, le sujet « sage » entre dans la temporalité à la fois et universelle et quotidienne, et élémentaire et systémique, celle du Tao et de Dieu par exemple, celle du Sujet Transcendantal comme mémoire de l'Origine enfouie en nous : à la fois amorce de vie en PP0 et destin accompli en PP5. En ce sens, l'identification à l'Origine en PP4 est un chemin et non une fin en soi : être vivant, c'est-à-dire faire vivre l'Être à travers nous.
Lorsque le passage se réalise vers les PP3 et PP4, le sujet est de moins en moins influencé par l'intensité de ce qui le traverse au jour le jour, on dit qu'il est capable d'un comportement ascétique (à l'opposé des PP1 et PP2 qui sont avides de sensations, c'est-à-dire d'intensités corporelles, gustatives, sonores et lumineuses). Cette façon de ne plus vraiment tenir compte de l'intensité des événements pour se décider est le résultat de la plus grande attention du sujet pour le fil du temps. La temporalité permet de relier des événements et de construire une unité sur une plus grande portée, de tenir compte de plus d'éléments, d'être moins dispersé suite à la force de l'imagination qui doit dès lors jouer ses gammes un ton plus bas.
Cette « sortie » hors de l'intensité pour entrer dans la temporalité historique et évolutive va se répéter à un autre niveau. C'est la « sortie » hors de l'entendement humain qui se réalise lors de l'entrée dans la PP5 - PP0 (elles désignent la même chose même si elles semblent séparées à cause du point de vue développemental habituel à l'esprit humain). Qu'est-ce que cela veut dire ?
La vision dont il est question ici est proposée à titre d'hypothèse là où finalement on peut raccrocher la filiation de l'humain à quelque chose qui n'est pas humain. En délogeant le narcissisme de sa position centrale par le processus de la castration symbolique, une trajectoire mentale s'est dessinée dont l'issue logique empêche l'entendement humain d'occuper lui-même une position centrale dans les valeurs systèmes vitales. Au bout de cette course, il faudra bien remettre l'entendement humain à sa place d'élément dans un système qui le dépasse. C'est la castration spirituelle de la conscience.
Transporteurs de l'Origine, nous sommes des vecteurs de temps qui transmettons ce qui s'est passé au tout début. Pour le dire schématiquement, nous sommes des lignes tracée depuis l'Origine jusqu'à maintenant. Quand une ligne remonte loin en arrière, quelque chose de l'indétermination première se fait jour à travers ce sujet, cela permet de renouveler les schémas de pensée et de relancer le « Jeu de la Création » au-delà des éventuelles impasses actuelles. En prendre conscience, c'est devenir soi-même une conscience originelle, c'est-à-dire être apte à transmettre le sens de l'Origine, son don. La principale façon de devenir compétent pour cette transmission consiste à ne pas falsifier la filiation à l'Origine dans le cadre de l'entendement humain : « Il faut faire un trou pour laisser passer ».
Normalement, les szondien(ne)s devraient être « propices » à cette vision. Pourquoi ?
D'abord, Léopold Szondi a été lui-même inspiré au cours d'un rêve où il a vu la constitution de son système pulsionnel, ça lui est venu. Il avait d'ailleurs l'habitude de raisonner comme un inspiré sans trop s'occuper de la vérification expérimentale de ses dires (n'exagérons pas tout de même non plus), disons qu'il suivait intimement ses intuitions. Ce sont ses disciples disséminés dans le monde entier qui ont patiemment vérifié nombre de ses intuitions par la vérification empirique induite lors de l'usage fréquent du test.
Deuxièmement, le test est précis, il est même « laser » tellement sa précision est cohérente et consistance pour décrypter la complexité psychique. Pourtant, interrogez les szondie(ne)s, universitaires ou non, ils /elles ignorent absolument tout du mécanisme à l'oeuvre dans ce test. C'est même comique puisqu'ils arrivent avec des photographies de visage qu'ils vous montrent pour vous aider à faire une série de choix, et puis s'en retournent avec un diagnostic qui engage leur responsabilité de clinicien, d'enseignant, de chercheur. Entre les photographies de ces visages et le résultat à interpréter, nada, que dale, nichts, aucune explication, rien de rien. Si ça, ce n'est pas un clin d'oeil du Sujet Transcendantal, alors ils sont complètement bouchés pour la question de la transcendance. Donc, je dis qu'ils sont propices à coup sûr s'ils utilisent ce test, ils n'ont plus vraiment le choix, ils l'ont déjà fait le choix en devenant des szondiens.
Remarquez, sans être szondien, C. G. Jung avait poussé sa théorisation vers la synchronicité, c'est-à-dire le fait que des événements de la réalité n'arrivent pas par hasard. C'est encore plus osé que le test de szondi, pourtant, entre les deux, il y a cette mise à l'index de l'entendement humain. Mêmes les psychanalystes freudiens sont incapables, complètement incapables, de rendre compte des mécanismes à l'oeuvre dans l'esprit humain ne serait-ce que pour penser, rêver, aimer, avoir la foi. Ce n'est pas parce qu'ils ont balisé le chemin tant bien que mal qu'ils ont compris ce dont il s'agit là. Ce n'est pas parce qu'on le montre du doigt à la manière signifiante du "grand Autre" lacanien que sa prise en compte est effective en tant que signifié. Il faut tout de même encore faire le deuil du cadre narcissique dans le rapport au Monde, narcissique au sens d' « anthropomorphique », c'est-à-dire globalement la référence à l'entendement humain pour "expliquer" le Monde, je veux dire la base conceptuelle anthropomorphique qui met l'humain comme Sujet du Monde. Personnellement, je dirais plutôt ceci : « Remettez le Monde à sa place et le Monde vous remettra à votre place ».
Il s'agirait en fait de prendre en compte ce "trou" central dans la toile de l'entendement humain par lequel transite le fond originel. Imaginez un puits si vous voulez une image plus courante. Concrètement, la personne qui renoue avec ce regard adamique retrouve en même temps le sens de l'Unité en toute choses, ce n'est pas flagrant, mais c'est possible d'en avoir le pressentiment. Tout comme l'accès à la temporalité permet d'échapper au joug de l'intensité, l'accès hors de l'entendement humain (cf. « nécessité », « vérité », etc.) empêche l'adversité d'avoir une prise sur notre conscience. Sans aucun moyen pour agripper la conscience, l'adversité glisse dessus, un peu comme un passant traverserait une armée sans armure, ou comme un sabre parfait ne sortirait jamais de son fourreau puisque le combat est intérieur avant même d'être possible à l'extérieur.
Quid?
L'essentiel est de circuler dans toutes les positions, même les plus improbables, parce que l'indétermination est le point de vue de tous les points de vue, le promontoire duquel on peut assister au spectacle de sa propre condition humaine et embrasser du regard le panorama de la finitude humaine. C'est une position vitale, surtout pour ceux et celles qui se sont fait piéger par la toute-puissance, notamment dans ses prétextes les plus faussement légitimes comme la science, la vérité et même la foi. Il faut bien faire attention à ce que les buts que l'on s'assigne ne permettent pas que l'on chevauche l'absolu un peu trop souvent. Nombreux sont les discours qui rejettent l'absolu dans leurs enjeux, mais qui le caressent constamment dans les moyens mis en oeuvre pour obtenir satisfaire ces enjeux. La toute-puissance est une artiste de génie pour illusionner l'esprit humain quant à ses multiples clivages suite à sa propension à patauger dans la vanité.
Les clivages sont surmontés à partir du travail pulsionnel, parce que la pulsion est esprit : elle peut se sursumer, se voir et se rendre des comptes, tout dépend du point de vue à partir duquel elle pose le constat de sa propre circulation. Son propos est de circuler dans une continuité d'ensemble qui peut désamorcer les stases et les clivages suscités par le recours constant à la toute-puissance.
Un de ces clivages est justement d'enlever à la pulsion sa nature d'esprit, d'en faire une composante organique sans aptitude à façonner le conscient. À ce propos, je cite Jean Mélon :
Le postulat szondien éveille le souvenir d'un aphorisme célèbre de Hegel : "Trieb ist Geist" (NdT : La pulsion est esprit). Nous sommes d'avis que Szondi participe d'une famille de pensée hégélienne tandis que Freud et la psychiatrie ont au moins ceci en commun qu'ils se revendiquent implicitement du mode de penser kantien. Qu'est-ce à dire ? Lorsqu'il introduit officiellement le concept de Trieb avec Triebe und Triebschicksale (I9I5), Freud s'empresse de le renvoyer du côté de l'inconnaissable, du moins au regard de la science positive. De la pulsion en soi, de la pulsion comme objet de science, nous ne savons quasiment rien et nous n'en saurons guère plus un jour. C'est un noumène, mais comme tel, on ne peut en faire l'économie. Au plan des phénomènes, nous sommes seulement confrontés aux rejetons (Abkommlinge) de la pulsion. Abandonnons donc la pulsion à sa « grandiose indétermination », contentons-nous d'en esquisser le concept en précisant ses déterminants (source, objet, poussée, but), spécifions-en tout aussi rapidement et sans avoir l'air d'y toucher les destins possibles (retournement dans le contraire, orientation vers la personne propre, refoulement, sublimation), et ne nous intéressons plus désormais que ses manifestations sensibles et mesurables, grâce à quoi nous pouvons espérer faire bonne figure devant le tribunal de la science.
Le même son de cloche retentit du coté de la psychiatrie ou la question de l'origine des maladies mentales est indéfiniment rapportée à un X qui paraît de plus en plus lointain dans l'exacte mesure où croît la masse des connaissances positives. Dans ce contexte, celui qui affirme un savoir sur la chose apparaît au mieux comme un croyant, au pire comme un illuminé. Toute la science moderne procédant de l'agnosticisme kantien, on ne doit pas s'étonner que « les szondiens » passent pour les tenants d'une secte gnostique, descendants spirituels de Platon-Hegel, en bute au mépris condescendant des fils d'Aristote-Kant. Mais les croyants ne sont pas toujours ceux qu'on pense. Le vrai Kant n'est pas d'ailleurs celui que la postérité retient le plus volontiers, mais il est vrai qu'après lui la science s'est endurcie dans le célibat arrogant. Kant a réussi dans la mission qu'il s'était assigné de « limiter les ambitions de la Science pour préserver les prérogatives de la Foi », mais ses héritiers se sont généralement montrés plus sectaires, rejetant dans « les poubelles » (*) de la Foi tout ce qui n'a pas un caractère absolument positif et objectivable.
C'est ce clivage intransigeant autant que paresseux entre foi et science, ou entre vérité et certitude, que refuse Hegel. Ce clivage, il faut bien plutôt le surmonter et c'est la mission que Hegel assigne à la Science. Non qu'il aille jusqu'à prétendre que la chose en soi soit davantage connaissable que ne disait Kant, mais on ne doit pas l'abandonner pour autant à sa grandiose indétermination ou à sa splendide indifférence ; il faut en produire le concept (Begriff) dans la réconciliation de l'en-soi et du pour-soi. Le concept est autre chose que la simple idée ou le reflet de la chose dans notre pensée, c'est un travail de la chose et sur la chose qui permet qu'arrache à son indifférence, cette chose existe aussi pour nous. Voila pourquoi nous disons que Szondi est hégélien et pourquoi aussi nous le suivons dans l'acharnement que nous mettons à produire le concept de pulsion comme concept central de la psychiatrie et, au-delà, du fonctionnement de l'homme en tant qu'homme.
Source : Analyse du destin, psychanalyse et psychiatrie
(*) c'est moi qui mets les guillemets.